LE SOMA

Erynn Rowan Laurie & Timothy White

(traduction Gobannogenos)

SOMMAIRE

Serpent rouge tacheté, Frère du Bouleau : Les mentions de l'Amanite tue-mouches dans les légendes celtiques.
Les recherches de Wasson sur les champignons vénéneux à l'époque des Celtes.
Les Irlandais pratiquaient-ils le culte du Soma?
Rêves de Paradis.
Traces de chamanisme celtique.
Les Baies rouges de l'Immortalité.
Voyage au Pays des Pommes.
Les Noisettes rouges cramoisies de la Sagesse.
Les Arbres sacrés de la Connaissance.
Le Frère rouge tacheté du Bouleau.
Le Saumon rouge tacheté.
Le Serpent tacheté.
Celui au Chapeau Rouge.
Embrasement d'Inspiration poétique.
Les Fontaines de l'Inspiration.
Noyade dans les Eaux de la Sagesse.
A la recherche de la Terre de Promesse.
Notes
Références

Serpent rouge tacheté, Frère du Bouleau : Les mentions de l'Amanite tue-mouches dans les légendes celtiques

1-Les références à des infusions ou à des aliments magiques, abondent dans les légendes celtiques relatant des voyages au Tir Tairngire ("Terre de Promesse") ou à travers les sidhe (tumulus féeriques). Dans le Hanes Taliesin gallois, le jeune Gwion Bach absorbe trois gouttes d'une décoction magique mijotant dans le chaudron de Cerridwen ; pris d'inspiration subite, le voici projeté, dans un voyage magique entraînant une métamorphose en diverses formes animales, puis absorbé et ressuscité par Cerridwen, mis enfin à dériver dans un sac en peau de couleur noire pendant quarante ans sur une mer infinie. Dans les irlandaises Aventures de Cormac, Manannan, roi de la Terre de Promesse, offre à celui-ci une baguette argentée magique avec trois pommes dorées à effet soporifique tel qu'en peu de temps Cormac voyage vers un autre monde où il découvre une fontaine merveilleuse contenant des saumons, des noisettes, et les eaux de la connaissance. Si l'on tient compte du fait que les anciennes légendes celtiques d'Irlande et du Pays de Galles, offrent à profusion des exemples de représentations de pommes soporifiques, de baies d'immortalité ainsi que de noisettes de sagesse, il est étonnant que les érudits celtes aient pour une grande part ignoré l'éventuel usage chamanique dans les Iles Britanniques de psychoactifs et d'enthéogènes (1).

2-Diverses raisons importantes ont fait que ces érudits ont craint de pénétrer sur un terrain ou des amateurs osent aujourd'hui s'aventurer. En premier lieu, l'interdiction d'écrire sur ce qui traite des pratiques druidiques des Celtes anciens et des filidh irlandais (poètes-prophètes) a abouti à ce que l'on n'ait que des connaissances très imprécises sur les pratiques religieuses des Celtes anciens. En second lieu, il n'y a pas de sources directes dans les histoires anciennes relatives à l'utilisation par les Celtes de psychoactifs autres que les hydromels et les vins, pour leurs rites et pratiques cérémoniels. En troisième lieu, il n'existe pas de preuves archéologiques irréfutables ­ telle la découverte d'une archaïque trousse médicale, remplie de champignons psychoactifs ­ permettant de dire que les Celtes utilisaient effectivement des substances psychotropes pouvant induire des expériences visionnaires, extatiques.

3-Cependant, le grand nombre de légendes celtiques concernant des mets rouges foncés impliquant des expériences mystiques, inspirant un savoir extraordinaire, communiquant le don de la prophétie, est hautement évocateur. A notre connaissance, personne n'a encore expliqué, de façon adéquate, pourquoi les filidh, avaient choisi comme nourriture magique les pommes, les baies, les noisettes ou le saumon, et pourquoi on les associait à des voyages dans les autre mondes et avec l'apprentissage des poètes. En effet aucun de ces aliments n'est naturellement psychotrope(2)..

4-Même si certains prétendent que les fréquentes références littéraires celtiques à propos des breuvages magiques apportant la connaissance indiquent qu'ils utilisaient certains types de psychotropes, plusieurs questions restent posées ­ plus particulièrement, qu'utilisait-on et comment ? Étant donné le peu d'informations de sources sûres concernant les pratiques religieuses des Celtes, les réponses à ces questions pourraient demeurer à jamais du domaine de la spéculation; cependant, l'absence de preuves directes ne suffit pas à dire qu'il n'y a pas de preuves.

5-Les druides celtes et les bardes avaient un penchant certain pour les images poétiques ­ s'exprimant toujours par énigmes et propos obscurs, comme le faisait observer, l'historien romain Diogène Laerce (3).. On peut affirmer que si les druides et les filidh utilisaient vraiment une substance psychotrope donnant accès à la connaissance, à la guérison et à la sagesse, ils prirent soin d'en cacher l'identité aux gens du peuple, aussi bien qu'aux envahisseurs romains et aux missionnaires chrétiens. C'est pourquoi nous soutenons que les mentions d'aliments magiques peuvent être expliquées en tant que références métaphoriques de l'Amanita muscaria, ce champignon au chapeau rouge, à valeur psychotropique élevée, utilisé autrefois de manière chamanique dans presque tout le Nord eurasien(4).

Les recherches de Wasson sur les champignons vénéneux à l'époque des Celtes.

6-Une des raisons pour lesquelles on a négligé la question du rôle éventuel d'un champignon psychoactif dans la mythologie celtique, est que l'A. muscaria, est difficile à trouver aujourd'hui en Irlande. Ce champignon végète seulement en relation de symbiose mycologique avec les racines de bouleau, de sapin et de quelques conifères ­ or l'Irlande a été presque totalement déforestée durant le dernier millénaire. Il y eu auparavant, cependant, de grandes forêts de bouleaux et de pins en Irlande; et le champignon au chapeau rouge aurait pu facilement s'y développer, comme il le fait encore aujourd'hui dans les forêts d'Angleterre et d'Écosse, ainsi que sur l'Ile de Man (située entre l'Irlande et l'Angleterre) (5). De plus, même si l'A. muscaria n'avait jamais poussé en Irlande, les filidh auraient pu facilement se procurer des champignons séchés auprès de leurs voisins celtes.

7-Cependant, le simple fait de la présence d'A. muscaria, ne prouve pas qu'il était utilisé, même si l'ethnomycologiste R.Gordon Wasson ­ le partisan le plus enthousiaste de la théorie de l'utilisation de ce champignon par les anciennes peuplades indo-européennes ­ a admis que, durant toutes ses recherches, il n'avait trouvé que peu de preuves suggérant une utilisation chamanique de l'amanite tue-mouches (A. muscaria) parmi Celtes, Germains ou Anglo-Saxons. Il a d'ailleurs affirmé de façon explicite qu'il n'avait pas de preuves directes de l'utilisation de champignons psychoactifs par les "druides de l'ombre" ou les sorcières médiévales (6).

8-Malgré le manque de preuves tangibles, Wasson n'a jamais totalement écarté la possible utilisation de l'A. muscaria en Europe. A partir de ses études concernant les références mycophobiques dont sont chargées la plupart des langues européennes quant aux champignons en général, et plus particulièrement l'amanite tue-mouches, Wasson parvient à cette particulière conclusion :

9-Je pense qu'à l'origine le "champignon vénéneux" était l'amanite tue-mouches dans le monde celtique; que le "champignon vénéneux" dans son rôle chamanique a suscité tant de crainte, de terreur et d'adoration qu'il fut soumis à un tabou extrêmement puissant, comparable peut-être au tabou vogoule dans lequel seuls les chamans et leurs apprentis pouvaient le consommer et si les autres le faisaient la mort était leur peine. Ce tabou résultait d'une obligation païenne propre au monde celte. Avec le temps l'utilisation chamanique de l'amanite tue-mouches disparut, probablement longtemps avant l'interdiction chrétienne. De toutes manières l'amanite tue-mouches ne pouvait prétendre à l'indulgence des missionnaires, pour lesquels le crapaud et le champignon vénéneux, étaient semblablement l'Ennemi.(Wasson 1968:191)

10-L'absence de preuves conduisit Wasson à conclure que l'utilisation du champignon sacré chez les Indo-Européens aurait pu disparaître tôt lors de leurs migrations à travers l'Europe. Il suggéra que, du fait que les Indo-Aryens migrèrent à travers des climats chauds et secs, ils furent contraints d'adopter différentes plantes psychoactives locales pour remplacer l'A. muscaria. Bien que l'évidence historique puisse soutenir cette théorie pour l'Inde, la Turquie et le Bassin méditerranéen, les proto-Celtes n'eurent pas besoin de trouver des substituts à l'A. muscaria dans leur nouvelle patrie ­ puisqu'on la trouvait en abondance dans toute l'Europe du nord-ouest.

Les Irlandais pratiquaient-ils le culte du Soma?

11-Peter Lamborn Wilson, suggère ­ à la lumière des affinités bien connues entre cultures celtiques et védiques, et du fait que les cultes enthéogéniques purent se propager sous le nez même de la "civilisation", et sans être remarquées ­ qu'on peut se demander, si les Irlandais pratiquèrent le culte du soma (Wilson 1995:43). Même si Wilson semble hésiter à tirer des conclusions définitives, il argue du fait que si les Irlandais utilisaient le soma, on devrait pouvoir en trouver la trace dans la littérature et le folklore ancien des Irlandais. Je pense que nous pouvons être sûr, affirme-t-il, que tout ce que l'on peut trouver en Irlande, qui ressemble au soma, à l'odeur du soma, pourrait très bien être, il faut le dire, du soma, bien qu'on ne pourra jamais être capable d'en prouver l'identité.

12-Quoique Wilson n'ait pas pu de manière certaine identifier le soma védique, il semble être d'accord sur la théorie de R.Gordon Wasson qu'il s'agissait effectivement de l'A. muscaria ou ­ si ce n'est pas le cas ­ d'un autre champignon psychoactif(7). Quelque fut son contenu, le soma était clairement une boisson induisant l'extase déjà utilisée par les ancêtres aryens des prêtres védiques de l'Inde, lesquels produisirent des centaines d'hymnes glorifiant ses pouvoirs miraculeux dans le Rig Veda datant de 3500 ans, le texte indo-européen le plus ancien existant. En utilisant les recherches de Wasson, sur le soma et l'A. muscaria, Wilson se concentre tout d'abord sur l'identification des mentions du soma ­ ainsi des êtres à un seul ¦il, des unijambistes ­ qui apparaissent aussi dans la mythologie celtique(8). Wilson suggère que les légendes grecques parlant d'Hyperboréens à un seul ¦il ou unijambistes peuvent être reliées aux légendes irlandaises des Fomorés (les premiers habitants mythiques de l'Irlande) qui sont parfois décrits comme des géants à un seul ¦il ou unijambistes.

13-Le thème d'un ¦il, d'un bras, et d'une jambe se manifeste de façon très apparente dans plusieurs légendes celtes sur les Fomorés, mais l'exemple le plus fascinant se trouve dans la Seconde Bataille de Mag Tuired, durant laquelle, le dieu irlandais du ciel Lugh s'adonne à un curieux rite chamanique. Pendant la bataille, Lugh prend une posture étrange, se tenant debout sur une jambe, un bras dans le dos, et fermant un ¦il afin d'ensorceler ses ennemis. L'action magique dans cette posture est appelée corrguinecht ou "sorcellerie de la grue", et Lug en utilisant la corrguinecht montre bien qu'il est en rapport avec le chamanisme(9). Lugh est bien connu pour être un magicien chamanique, utilisant ses armes magiques et ses incantations pour gagner les batailles. En tant que dieu associé à la foudre et une fontaine de guérison, Lugh peut être aussi qualifié de dieu de l'A. muscaria ­ ce qui suggère un lien possible entre le chamanisme et ce champignon dans les premières légendes irlandaises(10).

14-Ainsi que Wilson finit par l'admettre, l'existence seule de représentations du soma dans la littérature celtique ne démontre pas que les Celtes insulaires l'utilisaient. Il est ainsi possible que, de par leur tempérament conservateur, ils aient préservé des mentions du soma dans leurs mythes, tout en ayant cessé sa pratique ­ un peu à la manière des chrétiens, chérissant de nombreux symboles religieux païens anciens, comme les bûches et arbres de Noël, les lapins de fertilité et les ¦ufs de Pâques, sans en comprendre le contexte païen originel.

15-Alors que nous croyons que Wilson est foncièrement exact quant à son identification du soma ­ comme mention dans la littérature celtique, notre recherche au niveau des racines de la religion celtique nous a convaincus un peu plus que les légendes celtiques traitant d'une nourriture de connaissance oriente directement vers l'utilisation de l'A. muscaria dans le chamanisme celtique. Bien sûr, même si nous pouvons démontrer la présence de champignons psychoactifs dans les métaphores et les mentions des légendes celtiques, cela ne prouve pas que les druides ou les filidh utilisaient le champignon au chapeau rouge. Comme c'est le cas pour les mentions du soma données par Wilson, l'aspect voilé des références à l'A. muscaria aurait dû théoriquement effacer de la mémoire les souvenirs des anciennes pratiques indo-européennes d'avant les migrations, si elles avaient été seulement préservées dans les légendes orales transmises de génération en génération.

16-Pourtant, les légendes celtiques contiennent des innovations quant aux symboles occultes liés à l'A. muscaria qui sont tout à fait particulières aux Celtes insulaires. Nous prétendons que ces nouveaux symboles ne sauraient avoir de raisons d'être à moins qu'un culte sacré du champignon n'ait été pratiqué là, et que les druides n'aient voulu transmettre aux initiés leurs enseignements sur l'utilisation de ce sacrement, tout en laissant un voile protecteur sur sa véritable identité.

Rêves de Paradis

17-C'est dans les descriptions irlandaises de la Terre de Promesse, magique et merveilleuse, et du royaume du sidh des Tûatha dé Dânann, les anciens dieux celtes de l'Irlande, que l'on peut trouver les premières traces d'utilisation de l'A. muscaria chez les Celtes. Les Autres Mondes celtiques sont presque toujours décrits comme des endroits magnifiques, dotés des caractéristiques spécifiques des expériences psychotropes. Les couleurs brillent abondamment, et les humains et animaux se métamorphosent. L'espace et le temps subissent une déformation bien caractéristique, on entend souvent une musique féerique, mêlée au vent, et les aliments y sont d'un délice tout particulier. En théorie, ces représentations pourraient être aussi bien le fruit de plusieurs sortes de plantes psychotropes ou d'autres formes de voyages spirituels, ou bien encore causées par un jeûne entraînant des hallucinations. Quoi qu'il en soit, prises globalement, les légendes celtiques dépeignent des images d'une remarquable similitude avec celles vécues par l'absorption de l'A. muscaria.

18-Examinons la description de la Terre de Promesse, tirée des Aventures d'Art MacConn. Au milieu du récit, le père, Conn, embarque sur un coracle (bateau en peau) magique et sans avirons qui le fait errer sur l'océan durant un mois et demi, jusqu'à ce qu'il arrive sur une île belle et étrange :

19-Et l'île était ainsi : Il y avait de beaux et odorants pommiers, et beaucoup de très belles sources de vin, et un joli bois étincelant décoré de bosquets de noisetiers surplombant ces sources, avec de belles noisettes de la couleur de l'or, tandis que de jolies petites abeilles butinaient les fruits, dont bourgeons et feuilles tombaient dans les sources. Il aperçut alors toute proche une auberge bien construite, recouvert d'ailes blanches et jaunes et bleues d'oiseaux. Il s'avança vers l'auberge. C'est ainsi qu'elle était : avec des entourages de portes en bronze, des portes en cristal, et à l'intérieur quelques bienveillants habitants. Il vit la reine avec ses grands yeux, et son nom était Rigru Ros Clethan, fille de Lodan, de la Terre de PromesseŠ(11)

20-A présent, comparons cette scène à la description d'une expérience concernant l'A. muscaria traduite par Wasson du journal de Joseph Kopec, brigadier polonais, qui l'expérimenta, lors d'un voyage en 1797, dans la péninsule du Kamchatka (Wasson 1968 : 244-245). Alors qu'il était très malade avec de la fièvre, Kopec alla chercher aide auprès d'un prêtre orthodoxe russe local, lequel lui recommanda de prendre un certain "champignons miraculeux". C'est parce que la description des visions en rêve de Kopec est tout à fait typique des témoignages concernant celles produites par l'A. muscaria, qu'il est intéressant de les mentionner ici :

21-J'absorbais la moitié du médicament et aussitôt qu'allongé, un profond sommeil m'envahit. Les rêves se bousculèrent les uns après les autres. Je fus comme fasciné par des jardins où seuls le plaisir et la beauté semblaient régner. Des fleurs aux couleurs, aux formes et aux senteurs diverses apparurent devant mes yeux; un groupe de très belles femmes vêtues de blanc allait et venait, semblant avoir pour seules préoccupations l'hospitalité d'un paradis sur terre. Comme enchantées par ma venue, elles m'offrirent divers fruits, baies et fleurs. Ces délices durèrent pendant tout mon sommeil, une couple d'heures de plus qu'à mon accoutumée. A ma sortie d'un tel doux rêve, je découvris que tout cela n'était qu'illusions.

22-Enchanté, par les résultats de cette première expérience, Kopec reprit une dose de champignons séchés et eut une série d'autres visions, dont il ne fit malheureusement pas la description. Cependant, il mentionna de lui-même quelques observations surprenantes quant à leur nature :

23-Je peux seulement dire qu'à partir de l'époque où j'ai pris conscience des faits de la vie, tout ce que j'ai vu en face de moi depuis l'âge de cinq ou six ans, toutes les choses et gens que j'ai connus au cours du temps, et avec lesquels j'ai eu quelques relations, tous mes jeux, occupations, activités, l'un suivant l'autre, jour après jour, année après année, en un mot l'image de tout mon passé se présenta à ma vue. Pour ce qui est du futur, diverses images défilèrent que je ne prends pas spécialement en compte ici puisqu'il s'agit de rêves. Je devrais ajouter que comme pris d'inspiration par cette fascination je découvris les défauts et bévues de mon évangéliste (le prêtre) et je lui enjoignis de progresser dans ce domaine, et je remarquai qu'il prit cela quasiment comme la voix de la Révélation.

24-Les parallèles entre les visions en rêve de Kopec après la prise d'A. muscaria et les chroniques des voyages celtes vers la Terre de Promesse méritent qu'on s'y arrête. Kopec arrive dans une contrée "ou seuls le plaisir et la beauté, semblent régner", il fait la rencontre de femmes exquises habillées en blanc et revient, avec des visions internes ­ non différentes de celles procurées par le don de vision inspirée que l'on trouve fréquemment dans les mythes irlandais. Par eux-mêmes, de tels parallèles pourraient être des coïncidences et sans portée. Après tout, les êtres d'une pure beauté et les objets magiques sont l'assise commune de nombreux mythes et légendes. Cependant, comme nous le verrons bientôt, les mythes celtiques à propos de l'Autre Monde sont remplis de mentions d'aliments et de potions magiques donnant la sagesse, ou se rapprochant de très près de ce que l'on connaît de l'utilisation des champignons à chapeau rouge dans le chamanisme sibérien. Mais en premier lieu, voyons s'il existe des preuves historiques comme quoi les Celtes effectuaient des rituels qui auraient pu entraîner l'utilisation de l'A. muscaria.

Traces de chamanisme celtique

25-On en connaît si peu sur les pratiques spirituelles des druides que certains érudits se sont même demandés si, de ce fait, l'on pouvait vraiment parler de chamanisme celtique. Néanmoins, en se basant sur les écrits des premiers historiens romains, ou même sur les écrits plus récents des moines chrétiens, l'on peut conclure que les druides pratiquaient un chamanisme comparable à celui des chamans sibériens (12). Les légendes celtiques mentionnent que les druides pratiquaient l'affrontement par la magie, sollicitaient la foudre, conduisaient des guérisons, plongeaient des foules de gens dans le sommeil, questionnaient les oracles sur le futur (13). On sait, également, que les filidh n'étaient pas seulement des poètes inspirés, mais aussi des prophètes visionnaires, des guérisseurs, des adeptes de la magie(14).

26-Les connaissances sur les pratiques chamaniques des druides peuvent avoir disparu, avec l'extinction des druides, mais de nombreuses courtes descriptions et notes sur les pratiques divinatoires des filidh ont subsistées dans les histoires irlandaises et les commentaires. Au travers des affirmations tirées du Glossaire de Cormac datant du 10ème siècle et d'ailleurs, on sait que les druides et filidh d'avant l'ère chrétienne, se servirent de trois oracles, dont un au moins peut être qualifié de chamanique : imbas forosnas, ce que l'on peut traduire par "source de révélation" ou "embrasement de frénésie poétique", teinm laída par "illumination du chant", et dichetal do chennaib par "incantation improvisée".

27-Nora Chadwick a compilé une étude instructive des multiples références historiques de ces trois méthodes divinatoires (Chadwick, 1935). Malheureusement, ce qui a subsisté de ces données, est souvent peu fourni et parfois même contradictoire, traitant surtout des formes extérieures des oracles, de telle sorte que personne ne peut seulement spéculer sur la manière dont fonctionnaient ces pratiques divinatoires. Néanmoins, grâce à l'existence de cette documentation, il est loisible de les relier à une possible utilisation de l'A.muscaria

28-D'après le Glossaire de Cormac, le rituel de l'imbas forosnai consistait à mâcher une substance décrite comme de la "chair rouge" de cochon, de chat ou de chien, en chantant des incantations, en invoquant et en faisant des offrandes aux idoles des dieux (15). Ensuite, le fili (singulier de filidh) plaçait la paume de ses mains sur ses joues ou partait dormir pendant une période de sommeil d'incubatoire de trois ­ ou neuf jours ­ appelé nomaide. Pendant ce temps, plusieurs autres filidh se tenaient généralement là afin d'être sûrs que le fili endormi ne serait pas dérangé et qu'il ne bougerait pas. On attendait alors du devin qu'il ait d'instructives visions des dieux et du futur, et qu'il reçoive des réponses aux questions qui avaient été posées. Cet oracle pourrait être qualifié de rituel chamanique au sens le plus strict du terme.

29-Aucune des informations subsistantes, concernant l'imbas forosnai, n'explique de façon appropriée comment étaient induites les visions divinatoires, alors qu'elles indiquent toutes la consommation d'une chair "rouge" en étant confiné dans l'obscurité. Les filidh pouvaient-ils seulement être des médiums naturels ou des rêveurs doués de lucidité, et le fait de mâcher de la chair rouge était-il purement anecdotique dans le rituel ? Cependant, s'ils mâchaient effectivement des morceaux de champignon rouge séché, alors s'expliquerait que le rituel puisse s'être accompagné de prophéties. Comme Wasson (1968:244) et Sarr (1991) le notent, l'A. muscaria est souvent utilisée dans le chamanisme sibérien afin de provoquer l'incubation de rêves prophétiques. L'idée que la chair rouge utilisée dans l'imbas forosnai pourrait être une allusion voilée à l'A. muscaria serait prématurée à ce point de l'étude, mais cela pourrait avoir un sens après que nous ayons examiné d'autres mentions d'aliments magiques cramoisis trouvées dans les légendes celtiques.

30-Les informations sur les deux autres traditions divinatoires ­ teinm laída et dichetal do chennaib ­ sont moins consistantes; peut-être parce que ces pratiques étaient plus informelles et pouvaient être conduites de manière improvisée, sans cérémonial particulier (16). On a traduit diversement dichetal do chennaib par "récital improvisé", "incantation du bout des doigts" et "incantation inspirée". Il apparaît que ce rite était accompagné de récitations de dicetla (incantations) ou de vers dans le but d'apporter des réponses aux questions posées. Ce fut la seule forme de divination que saint Patrick toléra, car d'après ce qui en est dit, elle n'incluait pas d'invocation aux déités païennes.

31-Les différentes informations connues sur le teinm laída suggèrent qu'il comprenait le chant d'images intuitives perçues au travers de la lecture psychométrique des objets. Dans une des histoires de Fionn, le héros Fionn est sollicité d'identifier un corps décapité. Fionn se met le pouce dans la bouche et se sert alors d'un chant répétitif ­ rapporté être le teinm laída ­ pour deviner que le corps appartient à Lomna, son bouffon. De manière intéressante, sa capacité à parvenir à une lucidité poétique en se suçant ou en se mâchant le pouce le ramène à son enfance, alors qu'il consommait du saumon magique, tacheté de rouge et de blanc; or, comme nous le montrerons plus tard, le saumon pourrait être une représentation métaphorique de l'A. muscaria.

32-D'autres, éléments suggèrent aussi des liens métaphoriques existant entre le teinm laída et l'A. muscaria. Ainsi, comme l'indique Joseph Nagy (1905:137), le mot teinm signifie "craquement ou mâchage de la moelle", et on trouve ce mot dans la phrase teinm cno "craquer une noisette"; ainsi teinm laída pourrait donc être traduit littéralement par "craquement (casser pour ouvrir) de la moelle (ou noisette)". Mâcher la noisette pourrait de façon compréhensible se rapporter à une image poétique, mais si les noisettes rouges cramoisies sont des métaphores de l'A. muscaria, (comme nous espérons le montrer), alors le teinm laída pourrait avoir été inspiré par le mâchage du champignon rouge et blanc.

33-Aucune des vagues références au fait de mâcher de la viande rouge ou des noisettes ne prouvent de façon concluante l'existence d'un culte irlandais caché du champignon; mais elles suggèrent bien que les devins irlandais mâchaient quelque chose de rouge. A la lumière des nombreuses légendes celtiques, où des aliments rouges aux vertus magiques ­ baies rouges, noisettes cramoisies et pommes ­ offrent le don de perspicacité et procurent des visions prophétiques, nous pensons que l'utilisation de chair rouge dans l'imbas forosnai n'était pas fortuite. Comme nous pensons qu'il ne s'agit pas d'une coïncidence lorsque tous ces aliments rouges viennent à montrer des traits évoquant le champignon prophétique.

34-En supposant que les champignons au chapeau rouge aient été utilisés dans le rituel de l'imbas forosnai dans le but de faire surgir des rêves prophétiques, on pourrait alors facilement expliquer pourquoi les yeux du sujet aient été couverts, et pourquoi celui-ci se retirait dans un environnement obscur. L'intoxication par l'A. muscaria peut en effet causer une sensibilité visuelle à la lumière telle qu'une simple bougie peut être douloureuse pour les yeux. Parce que l'on sait que l'utilisation chamanique de l'A. muscaria tendait plus à être reliée à des visions en rêve qu'à des voyages en état d'éveil, l'obscurité aurait en outre sécurisé le sommeil de transe indispensable à l'obtention de visions prophétiques.

Les Baies rouges de l'Immortalité

35-Plusieurs légendes mentionnent que les Tûatha Dé Dânann mangeaient des sorbes rouges magiques possédant pour ceux qui les absorbaient les vertus de conserver l'immortalité, de retrouver la jeunesse et d'offrir la faculté de guérir (17). Dans le récit médiéval irlandais de La poursuite de Diarmuid et Grainne, on raconte qu'une des baies magiques, tombée de la table à l'occasion d'une fête, se transforme en arbre. Cet arbre est gardé par un géant interdisant aux mortels d'accéder à ces baies (serait-ce là la relique littéraire du tabou celtique interdisant aux hommes du commun l'usage de l'A. muscaria ?).

36-La description de Diarmuid appuie très certainement l'idée d'une métaphore de l'A. muscaria : Dans toutes les baies qui poussent sur cet arbre se trouvent maintes vertus, c'est-à-dire qu'il y a dans chacune de ces baies le plaisir capiteux du vin et du vieil hydromel; et quiconque mange trois des baies de cet arbre, vivra cent ans et retournera ensuite à l'âge de trente ans (18). Bien qu'aucun psychotrope connu n'agisse sur le temps de manière aussi intense, de nombreuses tribus sibériennes, comme celle des Koryaks, considèrent comme régénérescentes, les potions du champignon et disent que des doses modérés ­ approximativement trois pieds ­ suffisent pour produire l'effet d'une ébriété comparable à celle du vin ou de la bière.

37-Le voyage de Maelduin donne une description de quelques autres baies magiques trouvées sur un arbre d'une île de l'Autre Monde. Elles ont la taille d'une pomme et ont la peau très dure. Maelduin en presse le jus puis le boit; il tombe dans une intoxication puissante et s'endort une journée entière. Ses compagnons ne savent plus s'il est mort ou vivant, mais lorsqu'il se réveille il leur demande de rassembler autant de fruits que possible, tant l'intoxication produite est merveilleuse.

38-Les baies magiques de Maelduin ont tout l'air de ressembler au soma et à l'A. muscaria. Le Rig Veda décrit le soma, comme un jus pressé, et l'A. muscaria, prise en bonne quantité, provoque un sommeil enivrant assorti de visions extraordinaires. En admettant que les druides celtes aient voulu garder le secret sur l'usage de la plante merveilleuse, l'image des grosses baies rouges de sorbier aurait constitué un excellent substitut pour le champignon au chapeau rouge. En dehors de leur forme et de leur couleur il existe d'autres raisons qui pouvaient en faire une utile métaphore de l'amanite tue-mouches.

39-A travers toute l'Europe du nord, le sorbier rouge (sorbus aucuparia) pousse communément en association avec le bouleau (betula sp.), l'un des hôtes primaires du mycélium de l'A. muscaria. Dans de nombreux endroits de la toundra eurasienne ­ habitat originel de l'A. muscaria ­ ce champignon se développe après la saison des premières pluies ce qui coïncide avec le pic de la saison des baies. Par conséquent, les forêts ou poussent les baies du sorbier rouge seraient aussi l'endroit tout à fait approprié pour apercevoir le champignon à chapeau rouge.

40-Un autre lien moins évident quoique vital existe, entre les baies et l'A. muscaria. Plusieurs cultures sibériennes utilisent un breuvage psychoactif fait A. muscaria mélangée de baies. Les Khantis pensent que le mélange d'A. muscaria et d'airelle (vaccinum uliginosum) renforce l'effet du champignon (19). Et puisque le fait de rajouter des baies acides rend non seulement l'A. muscaria plus agréable au goût, mais aussi plus psychoactive, alors la grosse baie rouge du sorbier décrite auparavant pouvait fournir une métaphore intéressante pour le champignon sacré.

Voyages au Pays des Pommes

41-Les descriptions par Diarmuid de baies magiques rouges "aussi grosses que des pommes", pourraient expliquer l'association fréquente entre pommes magiques et Autre Monde celtique. Les pommes sont si souvent associées à la Terre de Promesse, gouvernée par Manannan Mac Lir, seigneur des brumes, que son royaume est parfois appelé Emain Ablach, la "Terre des Pommes".

42-Ross (1967:269) relève un passage dans Le lit de douleur de Cu Chulainn, traduit par Myles Dillon, où l'image d'arbres aux pommes magiques apparaît : II y a à la porte de l'est / Trois arbres de cristal cramoisi / Desquels sort le chant d'une nuée d'oiseaux, persistant, charmant / Pour la jeunesse de dehors le fort royal.

43-Dans la collection de récits irlandais datant du douzième siècle connue comme constituant la Táin Bó Cualnge, un personnage identifié comme étant Lugh, Eochaid Bairche ou Manannan, offre une roue et une pomme magique à Cu Chulainn quand le jeune guerrier part à la recherche de l'école martiale de Scathach, dans l'Autre Monde. La roue et la pomme guident miraculeusement Cu Chulainn dans sa quête jusqu'aux portes du domaine des femmes guerrières.

44-Dans un immrama (voyage visionnaire), quand Teigue MacCian atteint les rivages de l'Autre Monde, il remarque un pommier luxuriant portant au même moment des fleurs et des fruits. Quand Teigue fait la rencontre d'un beau jeune homme tenant une grosse pomme dorée, il lui demande : Quel est cet arbre là-bas ? La réponse qu'il obtient est révélatrice : Le fruit de ce pommier doit servir de viande à la congrégation qui est dans ce château Š (20)

45-Des pommes rouges magiques pourraient être une bonne métaphore visuelle du champignon à chapeau rouge encore frais. De plus, une des spécificités bien connues de l'A. muscaria est qu'une fois séché il est plus psychoactif que frais; après dessication les chapeaux de l'A. muscaria ressemblent un peu à des pommes fanées de couleur rouge-brune. De fréquentes comparaisons avec des pomme dorées existent aussi dans les légendes celtiques, ce qui est dû au fait que certaines variétés de ce champignon prennent une couleur dorée métallique lorsqu'ils sont séchés(21).

46-Il est assez facile de voir que les sorbes rouges et les pommes pourraient être des substituts visuels valables pour l'A. muscaria. Mais pourquoi les Celtes auraient-ils utilisé noisettes ou saumon en tant qu'aliments magiques de connaissance ? Ne serait-ce pas là une métaphore moins identifiable du champignon rouge et blanc ? Ainsi que nous le démontrerons bientôt, il existe d'amples preuves indirectes reliant ces aliments à ce dernier.

Les Noisettes cramoisies de la Sagesse

47-Au premier regard, il semble difficile d'expliquer les nombreuses références aux noisettes dans les légendes celtiques quant à leur capacité à donner la connaissance et des visions de l'avenir. Il est bien évident que le fait de manger des noisettes n'induit ni visions, ni sagesse, ni prémonition. Cependant, l'on a des indices que les noisettes auraient pu servir de métaphores très pratiques pour des Celtes. En premier lieu, examinons les preuves linguistiques reliant noisettes et champignons.

48-Dans les légendes celtiques, les noisettes portent diverses appellations : cuill crimaind "noisettes de connaissance", bolg fis "bulles de sagesse", bolg imbais "bulles d'inspiration poétique", bolg gréine "bulles de soleil", imbus gréine "soleil d'inspiration". Ces termes font référence aux noisettes, mais aussi aux bulles causées par leur chute dans la fontaine de sagesse. Significativement, bolg est un terme fréquemment trouvé à la fois en gaélique irlandais et écossais comme nom des champignons. Wasson (1957:93) propose cette analyse de l'usage du mot bolg :

49-En Irlandais il y a deux mots pour dire sac ou bourse, bolg qui est apparenté au latin bulga, et púca, mot probablement emprunté entre les années 800 et 1050 et d'origine scandinaveŠ En irlandais un champignon sauvage dit bolg losgainn, littéralement "sac de grenouille", mais aussi pùca beireach "bourse de génisse", faisant référence aux mamelles; ce qui est, semble-t-il, la même image de langage qui en albanais signifie "crapaud", et qui aurait pris le sens de "champignon vénéneux" en irlandais. En irlandais, bolg séidete, "sac crevé", est une appellation de la vesse-de-loup. On voit aisément, pourquoi les images de champignons reviennent dans toutes ces métaphores : vesse-de-loup, champignon vénéneux, tous les champignons de la forêt et des champs donnent l'impression visuelle de créatures qui gonflent rapidement.

50- Le gaélique parlé a préservé d'autres liens entre les champignons et les noisettes de sagesse, même aujourd'hui. En irlandais, nous trouvons les termes caochóg cnó, littéralement "noisette aveugle" - ce qui signifie que le c¦ur de la noisette est absent. Le gaélique écossais, qui préserve souvent plus de termes anciens que ne le fait le gaélique irlandais, nous apporte les mots caochag, qui signifie soit une noisette sans amande soit un champignon, et caochagach, qui indique la situation d'être débordant de noisettes sans amandes ou abondamment pourvu de champignons. Familièrement, le mot caochóg est aussi utilisé pour indiquer timidité ou clignement d'¦il. Or, comme nous l'avons vu, la sorcellerie celtique est souvent effectuée avec un ¦il fermé. Les liens linguistiques entre noisettes, champignons, et la posture du clignement d'¦il, posent question, mais il y a pourtant des évidences plus assurées.

51-Dans le vieux texte irlandais du VIIème siècle intitulé Le chaudron de poésie, on trouve l'affirmation claire de ce que les filidh trouvaient l'inspiration en mâchant les noisettes de sagesse. Le texte explique que l'inspiration poétique et le don de poésie proviennent de trois chaudrons qui se trouvent à l'intérieur même du corps du fili. La poésie est sensée naître de l'expérience du chagrin et de la joie, et l'une des parties de la joie éprouvée par le fili - laquelle mène à l'imbas, le don de la sagesse prophétique - est la joie d'endosser la frénésie poétique en pilant et éparpillant les belles noisettes des neuf noisetiers de la fontaine de Segais dans le royaume du sidhe (22).

52-La glose en moyen irlandais de ce passage offre un détail très tentant ­ la phrase bolcc imba fuilgne, "les bulles qui soutiennent ou favorisent l'imbas". Une traduction possible de la glose concernant cette phrase est "la bulle favorisant l'imbas est formée par le soleil sur les plantes, et quiconque les consomme aura la poésie". En clair, nous avons ici le constat direct de ce que la consommation de bolcc produit le don de vision prophétique.

53-A la lumière du lien linguistique, entre bolcc, bolg et champignons, il n'est pas difficile de voir dans ces phrases l'affirmation que certains types de champignons étaient mâchés afin de soutenir l'inspiration poétique. Le fait que l'imbas, inspiration poétique ou frénésie poétique des Irlandais, soit souvent décrite comme "un feu dans la tête", suggère en outre que le champignon le plus probable dans ce cas serait bien l'A.muscaria; le "feu dans la tête" est, en effet, une expression exacte de la description du symptôme de l'ébriété résultant de cette espèce - un échauffement prononcé de la tête, causé apparemment par la brusque concentration sanguine dans cette zone (23).

Les Arbres sacrés de la Connaissance

54-Par de nombreuses sources, notamment l'alphabet oghamique, nous savons que les Celtes, comme les autres cultures indo-européennes, ont vénéré le bouleau. Selon les mythes celtiques, l'ogham fut donnés aux druides et filidh par le dieu Ogma en tant que langage secret pour la préservation de leur sagesse. L'alphabet oghamique commence par beith, la lettre pour "bouleau". Cette lettre est placée en tête de l'alphabet car ce fut le premier caractère crée par Ogma, lequel grava sept fois la marque beith sur la branche d'un bouleau. Cette seule mention indique que les Celtes avaient une grande vénération pour le bouleau.

55-Comme Wasson le souligne dans son livre Soma : divin champignon d'immortalité, la plupart des cultures qui utilisent l'A. muscaria en tant que psychoactif sacré ont adopté le bouleau comme arbre sacré du monde. Il attribue cette association à la relation symbiotique existant entre le bouleau et le champignon. Comme nous l'avons noté ci-avant, le mycélium de l'A. muscaria ne peut se développer que dans une relation de symbiose avec les racines de quelques types d'arbres ­ principalement le bouleau, le sapin, et certains conifères.

56-Wasson (1968:215) suggère que les représentations d'arbres sacrés du monde rencontrées dans de nombreuses civilisations méditerranéennes tirent leur origine des forêts de bouleaux eurasiennes, à une époque ou les cultures indo-européennes utilisaient encore l'A. muscaria :

57-Les peuples qui émigrèrent de la ceinture forestière vers les latitudes du sud emportèrent avec elles les souvenirs vivaces de certains végétaux et de leur image. Le renom de la Plante d'Immortalité et de l'Arbre de Vie se répandit aussi très loin et largement par la parole; dans le Sud ou le bouleau et l'amanite tue-mouches n'étaient qu'à peine plus que de simples contes, à travers l'éloignement des générations et des milliers de kilomètres de distance de l'inspiration première, leurs concepts continuèrent à titiller l'imagination des poètes, des conteurs et des sages. Dans ces territoires étrangers, loin des forêts de bouleaux de Sibérie, furent adoptés des substituts botaniques de la Plante et de l'Arbre.

58-La théorie de Wasson peut apporter une description précise de ce qui se produisit sur les terres arides d'Iran, d'Inde et dans les pays méditerranéens. Cependant, le bouleau a toujours bien végété dans toute l'Europe du nord-ouest; c'est pourquoi les Celtes insulaires n'auraient pas eu besoin de remplacer le noisetier par le bouleau (la rareté actuelle du bouleau dans plusieurs régions d'Irlande et d'Écosse n'est pas due au réchauffement du climat, mais à l'implacable surpâturage des moutons et du bétail).

59-En supposant que les Celtes n'aient jamais abandonné l'usage de l'A. muscaria, pourquoi auraient-ils alors écarté le bouleau sacré et choisi le noisetier comme arbre de connaissance ? D'après ce que nous en savons, l'A. muscaria ne pousse pas sous les noisetiers. Cependant, le noisetier (corylus avellana) est membre de la famille des betulacea, et ses feuilles et bourgeons ressemblent à ceux de son proche parent, le bouleau. Par conséquent, l'image de noisettes cramoisies apparaissant sous le noisetier aurait pu convenir en tant que métaphore occulte du bouleau et de l'A. muscaria poussant à ses racines. Cela aurait pu être aussi un bon outil d'enseignement pour rappeler aux apprentis comment identifier l'arbre sous lequel les noisettes cramoisies de la connaissance pouvaient être trouvées.

Le Frère rouge tacheté du Bouleau

60-L'alphabet oghamique contiendrait une autre très intéressante mention dissimulée de l'A. muscaria. L'alphabet oghamique n'est pas très différent de l'alphabet runique norse en ce sens que les lettres sont nommées d'après différents objets commençant par la lettre en question. Bien que les noms originels de la plupart des lettres de l'alphabet oghamique aient des significations connues ­ tels h-úath ("terreur"), tinne ("morceau de métal"), sraiph ("soufre") ­ une lettre, edad, est un mot inintelligible, au sens méconnu (24). Heureusement, chaque lettre dans l'ogham est aussi associée à une couleur, un oiseau, un arbre et différentes autres choses, telles des locutions signifiantes appelées "oghams des mots".

61-Selon Damian McManus (1991:43) et Howard Meroney (1949), la couleur associée à edad est erc, ou "rouge tacheté", et son ogham des mots correspondant est "arbre de discernement" et "frère du bouleau". Cette association de "rouge tacheté" et de "frère du bouleau" est très suggestive, puisque le très souvent blanc moucheté à chapeau rouge A. muscaria végète au mieux sur les racines du bouleau. Est-il possible que edad ait été un des noms du champignon ? On ne le saura probablement jamais, mais la possibilité suscite la curiosité.

62-L'association de "frère du bouleau" et d'erc, ou "rouge tacheté", fournit une clef essentielle permettent de relier plusieurs références envisageables de l'A. muscaria. D'après le Dictionnaire de la langue irlandaise (1990:278), le mot erc peut faire référence à un poisson tacheté, notamment le saumon et la truite, et au bétail tacheté, ou possédant des oreilles rouge. De manière significative, erc se rapporterait aussi à "un reptile quelconque" ­ par exemple "une vipère". En fait, la locution "rouge tacheté" est souvent utilisée dans les légendes celtiques pour identifier des objets liminaux et des créatures venant de l'Autre Monde.

Le Saumon rouge tacheté

63-Il y a de nombreuses légendes celtiques dans lesquelles en mangeant du saumon on se voit immédiatement imparti de miraculeux pouvoirs de connaissance. Dans Les exploits de jeunesse de Finn un garçon nommé Demne vint apprendre la poésie auprès de Finn Éices ou Finn le Poète (25). Finn Éices avait passé sept ans à rechercher le saumon de la Fontaine de Fec, car on lui avait prédit que rien ne resterait inconnu à quiconque mangerait le saumon de Fec. Quand le saumon fut trouvé, Finn Éices dit à Demne de le cuisiner, mais de n'en rien manger. Alors qu'il retournait le poisson dans la poêle, le garçon se brûla accidentellement le pouce au contact du poisson et, sans y penser, se mit le pouce dans la bouche. Respectant la ruse du Destin, Finn Éices renomma le garçon Finn et lui donna le saumon de connaissance à manger. Depuis lors, toutes les fois que Finn mit le pouce à la bouche, et chanta le teinm laída tout ce qu'il ignorait lui était révélé.

64-N'y a-t-il pas là une autre raison pour laquelle les Celtes semblent avoir choisi le saumon comme source de sagesse instantanée ? Dans certains récits, on nous précise que le saumon obtint ces pouvoirs miraculeux en mordillant les bulles de connaissance ou les noisettes flottant à la surface de l'eau des fontaines de connaissance; mais pour autant que nous le sachions, consommer du saumon ­ même de ceux qui ont mangé des noisettes ­ ne conduit pas non plus à l'illumination instantanée ou à la révélation poétique. Cependant, supposons que les druides employaient d'occultes métaphores pour parler de leur enivrante substance miraculeuse, le saumon ­ qui est argent et blanc, moucheté de points rouges ­ pourrait être effectivement une jolie allusion à l'A. muscaria. Des morceaux d'A. muscaria auraient, par ailleurs, pu être discrètement présentés comme du saumon séché ­ et, dans certains cas, des étudiants auraient pu en manger par inadvertance croyant qu'il s'agissait bien de ce poisson. Soudainement, les légendes sur l'absorption du saumon de connaissance commenceraient alors à prendre de la consistance.

Le Serpent tacheté

65-Alexei Kondratiev, ancien Président de la Section Américaine de la Ligue Celtique, a retrouvé des références populaires concernant l'A. muscaria, appelée an náthair bhreac, "le serpent tacheté", en Irlande et en Écosse (26). Ce rapport linguistique direct entre serpents tachetés et A. muscaria est curieux, plus spécialement à la lumière des légendes populaires selon lesquelles saint Patrick exila tous les serpents d'Irlande. Ainsi que nous l'avons déjà mentionné, le Glossaire de Cormac affirme que saint Patrick bannit les pratiques oraculaires de teinm laída et d'imbas forosnai, parce que ces rituels invoquaient des dieux païens. Est-il possible que saint Patrick ait mené une véritable guerre contre le culte d'un champignon sacré qui impliquait des déités serpents ? dans l'affirmative, les filidh post-chrétiens auraient alors pu avoir de bonnes raisons pour adopter le saumon tacheté, les noisettes cramoisies, ou les baies rouges de sorbier comme nouvelle métaphore à la place de la plus forte ­ le serpent tacheté.

66-Le serpent est certainement un personnage important de la mythologie celtique particulièrement sur le continent mais aussi dans les îles. Les serpents sont associés à nombre de déités celtiques ­ comme Brigid, la déesse des poètes, et Cernunnos, le dieu des chamans.

67-Brigid la déesse des Dé Dânann ­ dont le mythe fut plus tard transféré à la sainte Brigid du XVème siècle (sainte Bride) de Kildare ­ était à l'origine une déesse à trois facettes, patronne du travail de la forge, de la médecine et de la poésie. Brigid, dont le nom signifie "élevée ou glorifiée", était associée au soleil et au feu, et invoquée en tant que gardienne de la maison et du feu du foyer. Comme déesse de la guérison, Brigid se trouvait aussi étroitement liée aux sources de guérison. Cependant, Brigid est surtout connue comme déesse des poètes, et le Glossaire de Cormac la vénère avant tout comme l'archétype de la femme sage. D'après la tradition de poètes cherchant l'inspiration auprès des fontaines de sagesse, il est probable que Brigid fut l'une des déités païennes invoquée dans le rituel divinatoire chamanique de l'imbas forosnai.

68-Dans La vie de Brigid, racontée dans le Livre de Lismore datant du XVème siècle, sainte Brigid est décrite comme une vierge dévouée au Christ, mais même là ses liens mystiques avec le seuil de l'Autre Monde sont bien préservés (27). Car sainte Brigid naquit au lever du soleil ­ ni à l'intérieur, ni à l'extérieur d'une maison, mais au seuil de celle-ci. Elle fut élevée dans la maison d'une "magicienne", qui lui enseigna de ne boire que du lait provenant d'une vache blanche, aux oreilles rouge. Un jour, alors que la nourrice était malade, la jeune Brigid alla à une fontaine et l'eau qu'elle en rapporta avait le goût de la bière, ce qui guérit aussi la nourrice. Plus tard, en tant que nonne, il a été dit qu'elle changea de l'eau en lait, qu'elle utilisa pour soigner une de ses s¦urs nonnes. Des colonnes de feu apparaissaient souvent au-dessus de la tête de Brigid, et dans une narration, les rayons du soleil soutinrent et séchèrent sa cape détrempée.

69-Les nombreuses associations de Brigid avec des thèmes possibles de l'A. muscaria ­ vaches aux oreilles rouge, colonnes de feu au-dessus de la tête, eaux curatives ­ sont extrêmement évocatrices. Sa capacité à transformer l'eau en vin et lait curatifs, nous ramène aux miracles de l'Ancien Testament, mais cela pourrait aussi se rapporter aux pouvoirs régénérateurs, de guérison de l'A. muscaria. En dernier lieu, ce sont les liens étroit de sainte Brigid avec les serpents qui révèle sa nature essentiellement païenne. Longtemps après qu'il fut dit que saint Patrick avait banni les serpents d'Irlande, les Ecossais continuèrent de croire que les serpents sortaient de leurs repères le jour de la sainte Brigid, originellement un jour sacré païen appelé Imbolc ou Oimelc, célébré début février. De manière significative, ÓCatháin (1995:160) note que le jour de fête de sainte Brigid est associé, à deux couleurs ­ "la veille de la Fête de Brigid, la tachetée ­ le jour de la Fête de Brigid, le blanc".

70-Alors que le culte de Brigid était toléré dans une forme subvertie sous l'Église celtique, le culte du dieu cornu fut contraint à la clandestinité ­ ou de se dissimuler dans les forêts. En Gaule, le seigneur cornu des animaux ­ connu là sous le nom de Cernunnos ­ était étroitement associé aux serpents à cornes de bélier de la sagesse, et au monde des arbres de par ses connections avec le cerf (28). Nul besoin de théologie pour expliquer pourquoi les chrétiens assimilèrent le dieu cornu chamanique et ses serpents à l'imagerie du diable.

71-Une des représentations européennes les plus archaïques de déités munies d'andouillers pourrait être celle nommée "sorcier dansant" peinte à Les Trois Frères, en France. Quelques uns des pétroglyphes les plus intéressants, représentant le seigneur à andouillers des chamans, sont de plus trouvés dans la Valcamonica (vallée de Camonica), au nord de l'Italie ­ une région habitée par les proto-Celtes et donc les cultures celtiques. Michael Ripinski-Naxon (1993:155-7) remarque que les sculptures dans la roche de Valcamonica représentent plusieurs motifs chamaniques classiques indo-européens, dont des disques solaires stylisés et des représentations de "chamans" à andouillers, et de "chamans" dansant autour ou au-dessus de petits arbres. En ajoutant qu'une sculpture dans la roche, de type naturaliste, d'un champignon tacheté a été découverte prés de Monte Bego ­ aussi en Italie du nord ­ Ripinsky-Naxon conclut avec prudence que les Indo-européens de cette région étaient familiers avec l'A. muscaria. Si l'on pouvait apporter plus de preuves mettant en relation dans cette région les chamans munis d'andouillers et l'utilisation des champignons tachetés, cela confirmerait nos spéculations sur l'utilisation de l'A. muscaria en Irlande celtique. Mais pour l'instant, il nous faut attendre.

72-La représentation probablement la plus connue du personnage aux bois de cerf est celle réalisée sur le chaudron de Gundestrup, un merveilleux ouvrage d'art mythique indubitablement inspiré par les Celtes, bien que très probablement réalisé par des artistes thraces(29). L'une des panneaux montre un homme, couronné d'andouillers de cerf à sept fourches se ramifiant en trois branches, tenant un serpent tacheté, à cornes de bélier. Les autres panneaux du chaudron illustrent différents dieux celtes ou des scènes de légendes celtiques. Bien que l'on n'ait aucune preuve de la manière dont ce chaudron ait été utilisé, de nombreux érudits présument qu'il avait une signification rituelle. Aurait-il été employé pour un culte chamanique du serpent tacheté ? Aurait-il servi à préparer la potion d'A. muscaria ? L'idée est en tout cas provocatrice.

Celui au Chapeau Rouge

73-Un vieux conte populaire écossais, Fionn et l'homme dans l'arbre, relie directement les représentations primitives d'aliments magiques au seigneur chamanique des animaux et au monde des arbres. Dans cette histoire, Fionn chasse dans la forêt pour le compte de Derg Corra, une variante du seigneur des animaux. L'épithète Derg Corra signifie "au chapeau rouge" ou "marqué de points rouges", et cette expression "au chapeau rouge" serait une allusion parfaite à l'A. muscaria. Par coïncidence, Derg Corra ­ ainsi que plusieurs autre héros de l'Autre Monde celtique ­ est réputé pour ses capacités à réaliser des bonds extraordinaires, un trait que l'on associe à ce champignon en Sibérie(30).

74-Alors qu'il chasse dans la forêt, Fionn aperçoit quelque chose d'étrange : un homme perché en haut d'un arbre. Un oiseau noir se tient sur l'épaule droite de l'homme. Il a dans la main gauche un récipient en bronze dans lequel saute un saumon. En dessous de lui, à la base de l'arbre, se tient un cerf. Cette silhouette bizarre, qui se trouve être Derg Corra déguisé, craque une noisette (teinm cnó), en donne la moitié à l'oiseau noir et en mange lui-même la moitié. Il coupe une pomme en deux et la partage avec le cerf se trouvant en bas de l'arbre, puis il partage les eaux de la sagesse avec le saumon, l'oiseau et le cerf.

75-Cette histoire est très significative, car nous savons que les apprentis druides se rassemblaient dans des bosquets sacrés cachés au plus profond des forêts, dans le but d'apprendre leurs techniques poétiques. Nous pouvons déduire d'autres sources que les rangs des filidh étaient vues comme des positions sur les branches de l'arbre du monde (31). Les mineurs ou étudiants filidh étaient les racines, les filidh confirmés étaient le tronc, et les plus puissants filidh étaient les branches les plus hautes. Dans cette histoire, Fionn est considéré comme étant un puissant fili ­ ayant absorbé dans sa jeunesse le saumon rouge tacheté de la sagesse ­ mais à présent il se tient au niveau des racines de l'arbre en dessous de Derg Corra, qui tient et mange non pas une mais plusieurs substances apportant la sagesse.

76-En bref, cette légende entremêle plusieurs métaphores désignant l'A. muscaria en une tapisserie exacte. Fionn est venu pour être enseigné par Derg Corra ­ le seigneur rouge tacheté des animaux, qui dans de nombreuses cultures est le seigneur des chamans. Chacun des éléments magiques ­ pommes, eaux de la sagesse, et noisettes sacrées ­ partagé avec les animaux par Derg Corra, est intimement lié dans la littérature celtique avec l'Autre Monde et avec le don d'inspiration poétique et de savoir prophétique. En se basant sur cette histoire ­ et sur les autres évidences que nous avons présentées ­ nous allons nous hisser vers les hautes branches de cet arbre sacré et suggérer que l'utilisation de l'A. muscaria a pu jouer un rôle initiatique ou d'enseignement préeéminent dans les antiques sanctuaires druidiques

Embrasement d'Inspiration Poétique

77-Certains érudits celtes pourraient lever les bras au ciel à notre suggestion que les druides et les filidh utilisaient l'Amanite comme source d'inspiration poétique. Cependant, d'après ce que nous savons du rôle du soma dans le souffle du Rig Veda, il est fort concevable que ce végétal ait pu servir à inspirer les visions et les vers des poètes celtes. Dans le chamanisme sibérien, il est, en tout cas, associé de manière précise non seulement à des visions d'extase mais aussi à l'inspiration de poèmes et chants(32).

78- Nous savons d'après les justifications historiques que les filidh devaient mémoriser de longs traités de légendes et de poèmes, mais ils étaient bien plus que seulement des versificateurs. Outre des poètes épiques, ils étaient des philosophes inspirés et de puissants enchanteurs. Si nous sommes dans le vrai en disant que les noisettes cramoisies et le saumon tacheté sont des métaphores de l'A. muscaria, alors nous pouvons supposer que les anciens filidh utilisaient le champignon rouge et blanc comme source significative d'inspiration poétique et de prophétie.

79-Dans le vieux poème irlandais connu sous le nom de Le Chant d'Amergin le chef fili des envahisseurs milésiens se présente ainsi lorsqu'il pose le pied en Irlande : Je suis un vent de la mer, je suis une vague sur la mer, je suis un bruit de la mer, je suis un cerf aux sept bois, je suis un aigle sur le rocher, je suis une larme du soleil, je suis bien parmi les fleurs, je suis un saumon dans un bassin, je suis un lac sur une plaine, je suis une colline de poésie, je suis un dieu qui donne l'inspiration (littéralement : "qui crée le feu dans une tête") (33).

80-Se pourrait-il que le dieu qui donne l'inspiration ­ qui crée "le feu dans la tête" ­ se réfère à un dieu en relation avec l'A. muscaria, ou au champignon lui-même ? Nous avons déjà relevé que Brigid, la déesse des poètes, était reliée avec la notion de feux autour de sa tête et que l'intoxication par l'A. muscaria est susceptible de produire un échauffement prononcé de la tête. De plus, nous savons de diverses sources que imbas forosnai et teinm laída, étaient ensemble en rapport avec lumière et feu de l'illumination(34).

81- Dans le Hanes Taliesin ("Roman de Taliesin") du XIIème siècle, le poète gallois Gwion se présente avec une liste d'associations similaires, plus quelques additions : J'ai été un fier taureau et un daim jaune. J'ai été un bateau sur la merŠ J'ai été un saumon bleu. J'ai été un serpent tacheté, sur une colline Š J'ai été une vague se brisant sur la plage. Sur une mer infinie on m'a mis à la dérive(35).

82-Une personne ordinaire sans une solide connaissance du mythe celtique aurait du mal à saisir les multiples comparaisons entrelacées dans ces poèmes. A un certain niveau, l'énoncé fait indubitablement appel à des thèmes-clés des légendes celtiques. Cependant, il est curieux de constater que beaucoup de ces thèmes pourraient se référer à des représentations que nous avons déjà reliés à l'A. muscaria : le cerf aux sept bois au cerf au pied de l'arbre de Derg Corra; le saumon des bassins au saumon qui mange les noisettes de la sagesse; le bateau sur la mer aux coracles magiques emportant les poètes vers la Terre de Promesse; mais aussi le serpent tacheté sur la colline directement au champignon rouge et blanc qui pousse sur les tumuli du sidhe.

83-A partir de la manière dont des poèmes similaires à Le Chant d'Amergin sont répétés par divers poètes gallois ou irlandais, on peut penser que ces poèmes pouvaient servir de cartes de visite orales aux filidh investis dans les légendes celtiques. Dans le texte connu sous le nom de Immacalamm in do Thuarad ("Dialogue des deux Sages") deux bardes se rencontrent et éprouvent courtoisement leurs connaissances respectives (36). En salve d'ouverture, le vieux Ferchertne demande : Une question, sage jeune homme, d'où viens-tu ? Le jeune Nede répond :

84-C'est simple, du talon d'un sage,/ D'un confluent de sagesse,/ De la bonté parfaite,/ De la lumière de l'aube,/ Des neuf noisettes de l'art poétique,/ Des contours merveilleux d'une contrée,/ Où la vérité est excellence,/ D'où le mensonge n'existe pas,/ Où y a beaucoup de couleurs,/ Où les poètes trouvent le repos.

85-En résumé, Nede semble avancer qu'il a appris les arts poétiques en mangeant des noisettes de sagesse. Après un long échange d'images lyriques, Ferchertne et Nede se reconnaissent et s'honorent chacun de leur sagesse poétique. Puis Nede demande : Et toi, ô l'âgé, as-tu des nouvelles ? Et Ferchertne se lance dans une longue liste de prédictions pour le futur.

86-Si les noisettes sont effectivement des travestissements de l'A. muscaria, alors on peut prétendre que Nede et d'autres filidh mâchaient probablement des champignons donnant l'inspiration lors de leur entraînement, peut-être par un rituel similaire à l'imbais forosnai (37). La longue suite de prédictions faite par Ferchertne suppose qu'il aurait pu aussi être concerné dans quelque genre de pratique de divination prophétique.

87-Alors que les premières informations historiques concernant les écoles de druides ou de filidh, offrent peu de détail sur leur pratiques d'entraînement ­ en dehors de la mention des longues énumérations de vers qu'ils devaient mémoriser, et des matières qu'ils maîtrisaient comme la grammaire, le droit, les mathématiques et la philosophie naturelle ­ on sait, grâce aux légendes et aux poèmes, que le point culminant de leur entraînement était l'embrasement de l'inspiration poétique. Des descriptions des écoles de bardes du XVIIIème siècle, indiquent que leurs apprentis ­ successeurs des filidh ­ passaient de longues heures à pratiquer et à composer de la poésie dans de petites cellules à peine éclairées(38). Bien que l'isolation des sens ait pu contribuer à la pratique de la poésie et à l'embrasement de visions prophétiques, l'obscurité a pu avoir là un tout autre but.

88-Car, si l'A. muscaria était utilisée lors des entraînements des filidh, sa propension à accroître la sensibilité à la lumière pourrait aussi expliquer le narration initiatique de Taliesin cousu dans un sac de peau et mis à la dérive sur les mers. Si on se base sur les nombreuses références reliant les représentations métaphoriques de l'A. muscaria à l'inspiration poétique, nous supposons que l'entraînement des filidh incluait probablement des voyages visionnaires entrepris dans l'obscurité, ou à l'intérieur d'un sac en peau de taureau, sous la surveillance de filidh expérimentés, et probablement sous l'influence de l'A. muscaria.

89-Les études ethnographiques d'autres cultures chamaniques montrent que les contes populaires sont souvent utilisés comme moyen d'inculquer un savoir ésotérique chamanique, notamment dans les cultures orales (39). Si nous sommes dans le vrai en identifiant la présence de mentions de l'A. muscaria en tant que représentation métaphorique dans les légendes celtiques et la littérature, nous pourrions tout à fait nous attendre à des enseignements traditionnels concernant son usage, mêlées à ces mêmes légendes.

90-Il est possible que nombre de légendes sur les voyages magiques entrepris dans l'Autre Monde, aient été des récits d'enseignement basé sur des expériences vécues avec l'A. muscaria par les générations précédentes, affinés et polis par l'art poétique ? Dans ce cas, cela expliquerait que les nouveaux initiés aient commencé leur apprentissage en apprenant les légendes du passé; les légendes auraient procuré des itinéraires et des enseignements métaphoriques aux novices se préparant à embarquer pour leurs voyages dans les eaux de l'inspiration.

Les Fontaines de l'Inspiration

91- Les légendes celtiques sont pleines de héros s'abreuvant à des fontaines de sagesse ou aux cours d'eau provenant de ces fontaines; et ces fontaines de sagesse semblent être souvent être constatées comme la source la plus haute de l'art du fili. Un des grades les plus élevés du fili, est même appelé ansuith, ou "grand courant", en référence directe à ce flot de sagesse. Bien que l'image des fontaines cosmiques de sagesse se rencontre dans beaucoup d'endroits du monde, les légendes celtiques contiennent de nombreux éléments reliant tout à fait directement ces fontaines à l'usage chamanique de l'A. muscaria.

92- Les aventures de Cormac au Pays de Promesse, aussi appelé Le gobelet de Cormac, mentionne plusieurs indices de mentions de l'A. muscaria en association directe avec la fontaine de connaissance. Brièvement, nous offrirons ici une version abrégée de l'histoire.

93-Un jour à l'aube, Cormac rencontre un guerrier aux cheveux gris tenant une branche d'argent garnie de trois pommes dorées. Cormac est fasciné par cette branche qui émet une musique si merveilleuse lorsqu'on l'agite qu'elle apporte le sommeil aux hommes douloureusement blessés, aux femmes en couche, aux gens dans la maladie. Le mystérieux guerrier ­ qui est Manannan déguisé ­ explique qu'il vient d'une terre où il n'existe rien en dehors de la vérité, et il n'y a ni âge, ni déclin ni ténèbres ni tristesse ni envie ni jalousie ni haine ni morgue(40). Les deux hommes concluent une alliance, et Cormac demande à ce que la branche scelle l'accord. Le guerrier acquiesce, mais demande en retour que trois faveurs non précisées lui soient accordées, à satisfaire plus tard. Lors de chacune des années suivantes, Mananann revient et réclame l'une de ces trois faveurs ­ d'abord la fille de Cormac, puis son fils, et enfin sa femme. Homme de parole, Cormac satisfait les faveurs, mais après la troisième requêtes, il suit le mystérieux guerrier à travers un grand brouillard ­ le ceo-druidechta ( "brouillard des druides") ­ qui surgit autour de lui sur la plaine, et se retrouve dans une étrange forteresse de la Terre de Promesses.

94-On montre à Cormac une maison en argent, à moitié recouverte d'ailes d'oiseaux blancs. Puis il voit un homme embrasant un feu dévorant. Enfin, il pénètre dans une autre forteresse ou se trouve un palais de bronze rayonnant et un clayonnage d'argent et qui est aussi recouvert par les ailes d'oiseaux blancs. Il voit des gens s'abreuver à cinq cours d'eau, provenant d'une fontaine merveilleuse d'où s'échappent cinq courants. Neuf noisetiers poussent au-dessus de la fontaine, laissant choir leurs noisettes dans l'eau, et cinq saumons ouvrent les noisettes et envoient les coquilles descendre le courant.

95-On montre à Cormac le cochon magique de Mananann, qui est cuit dans un chaudron lorsque l'on dit quatre vérités. Après que son hôte ait dit trois vérités, cuisant les trois quarts du cochon, Cormac révèle la sienne ­ qui est qu'il est affligé par la perte de sa fille, de son fils et de sa femme. Au moment où son hôte lui donne une part de porc à manger, Cormac refuse, en disant qu'il ne mangeait jamais sans être en compagnie de cinquante personnes. Mananann plonge Cormac dans le sommeil, et lorsqu'il se réveille il est en compagnie de cinquante guerriers ­ et de sa femme, de son fils et de sa fille. Durant le banquet, Cormac est intrigué par une magnifique coupe d'or ciselé. Mananann explique que chaque fois que trois mensonges sont proférés sous cette coupe, elle se brise en trois, et que le seul moyen pour restaurer la coupe est de dire trois vérités sous elle. Pour démontrer comment la coupe agit, Mananann dit trois mensonges, brisant la coupe, puis trois vérités pour la rassembler. Puis Mananann offre la coupe en cadeau à Cormac, en lui promettant qu'il le laisserait rentrer chez lui avec les siens, et lui interprète les visions étranges que Cormac avait eues.

96- Mananann fonctionne comme un enseignant et un guide aidant à interpréter la signification de visions pour Cormac ­ et pour tout étudiant à qui l'histoire est racontée. Selon Mananann, la fontaine est la fontaine de connaissance, et les cinq courants sont les cinq sens par lesquels la connaissance est obtenue : Nul ne pourra accéder à la connaissance, sans s'être désaltéré dans cette fontaine et dans ses courants. Les gens maîtrisant plusieurs arts sont ceux qui boivent à tous.

Noyade dans les Eaux de Sagesse

97-En étudiant les leçons préservées dans les légendes celtiques, dans le contexte de ce que l'on connaît de l'A. muscaria et de l'entraînement des pratiques divinatoires des filidh, un élève diligent pourrait de façon concevable faire renaître ce qui semble être une des plus viables et des plus documentées traditions chamaniques celtiques. Cependant, avant de s'imbiber de grandes quantités d'A. muscaria dans l'espoir d'obtenir l'illumination instantanée, les étudiants enthousiastes feraient bien, de lire et de tenir compte des mises en garde que l'on trouve dans certaines légendes irlandaises. Par exemple, les nouveaux initiés intéressés par l'exploration des Autres Mondes merveilleux des visions de l'A. muscaria feraient bien de se souvenir que lors de l'imbas forosnai, le fili en quête de vision était observé par un autre fili, qui était vraisemblablement expérimenté pour s'adapter aux effets de l'usage de l'A. muscaria.

98-Dans le Dinnshenchas irlandais ("Convenance des noms") de Siannan, la déesse de la rivière Shannon, nous trouvons l'enseignement que la sagesse provenant des neuf noisetiers peut submerger. Dans cette histoire, la déesse voyage vers la fontaine de Conla, dont on dit qu'elle est à l'origine de la Shannon, de la Boyne, et de beaucoup d'autres rivières. Siannan va là à la recherche de la sagesse, et les eaux de la sagesse la submergent. Elle fuit devant les eaux sur le cours de la rivière, se noyant dans cette sagesse à l'embouchure de la rivière Shannon. De manière significative, les noisetiers entourant la fontaine de Conla produisent miraculeusement des feuilles, des fleurs et des noisettes en l'espace d'une heure seulement ­ tout à fait comme des champignons apparaissant soudainement après la pluie.

99-L'histoire nous avertit que le fait de manger les noisettes de la fontaine de sagesse peut présenter certains dangers. Au moins, si l'on n'y est pas préparé de façon adéquate, car l'intensité de l'expérience peut être écrasante. Il est aussi possible que la mort de Siannan puisse être une mise en garde contre la mauvaise Amanita ­ la hautement toxique Amanita phalloides d'un blanc verdâtre, connue de façon appropriée sous le nom de "Chapeau de la Mort" ­ qui peut être mortelle.

100-Si des légendes celtiques comme celle-ci ont servi de soutien à l'enseignement chamanique, on attendrait que quelques unes d'entre elles comprennent des itinéraires métaphoriques visant à aider les nouveaux initiés à naviguer dans les eaux submergeantes de la sagesse. Examinons un autre dinnshenchas décrivant la création de la rivière sacrée Boyne à partir des eaux de la fontaine de Nechtán : dans cette histoire, la déesse Boann, dont le nom signifie "la vache blanche", est mariée avec le dieu Nechtán. Bien que les noisettes de la sagesse ne soient pas mentionnées dans ce récit, nous pouvons affirmer qu'elles inspirèrent aussi les eaux de sagesse de Nechtán. Nechtán ­ dont le nom signifie "propre, pur" ou "blanc, brillant" ­ est un symbole de feu dans l'eau et du pouvoir de la poésie venant de la fontaine de sagesse.

101-La légende indique que Nechtán avait trois porteurs de coupe qui devaient accompagner quiconque rechercherait la sagesse à la fontaine, sinon de désastreuses conséquences en découleraient. Ignorant les mises en garde traditionnelles, Boann partit seule à la fontaine et défia son pouvoir en en faisant trois fois le tour dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. En réponse à cette action, les eaux de la fontaine s'élevèrent et lui arrachèrent l'¦il droit, le bras droit et la jambe droite. Elle s'enfuit devant le cours d'eau, courant vers la mer, et se noya seulement à l'embouchure. Les eaux devinrent la rivière Boyne, d'après son nom.

102-On constate que lorsque Boann s'approcha de la fontaine de sagesse, sans assistance, et qu'elle défia son pouvoir, elle perdit un ¦il, un bras, et une jambe et se noya alors dans ses eaux. Cette légende, non seulement fait le lien entre les mentions d'êtres à un seul ¦il ou unijambistes et de fontaine de sagesse, mais donne aussi un avertissement quant aux dangers inhérents à l'utilisation de l'A. muscaria sans information appropriée. Une personne avec un seul ¦il manque de perspectives, et une personne unijambiste manque d'équilibre ­ deux conditions que le novice doit maîtriser (41).

103-De nombreux enseignements peuvent être transmis dans une seule légende. Les noms des trois porteurs de coupe du puits de la fontaine de Nechtán ­ Flesc ("baguette" ou "bâton gravé de lettres oghamiques"), Lesc (qui peut signifier "paresseux, léthargique", ou "immobile"), Luam ("barreur" ou "guide") ­ peuvent porter une information cachée concernant les rituels effectués à la fontaine de connaissance. Flesc peut se rapporter au bunsach comairce ou "baguette du passage sûr" que les filidh portaient durant leurs voyages. D'un point de vue profane cela se rapportait au droit des filidh de voyager sans être molestés à travers les territoires tribaux, mais elle peut aussi représenter un droit du fili de bénéficier de la fontaine de connaissance et de communiquer avec les dieux et les esprits.

104-Lesc, en tant qu'immobilité, pourrait être une référence voilée à la période de sommeil incubatoire prophétique effectuée pendant les rites d'imbas forosnai et de tarbhfeis, et au fait que l'ingestion d' A. muscaria provoque parfois un état de somnolence. Lesc, en tant que paresseux, pourrait aussi se référer au fait qu'un usage lourd d'A. muscaria ­ peut-être lors de rites d'initiation intensifs ­ peut entraîner une forme de dépression post-utilisation.

105- Luam, le barreur ou le guide, pourrait se référer à la personne qui assure la surveillance, comme lors du rituels d'imbas forosnai. Si cela est le cas, ce ritualiste, à coup sûr un fili chevronné, garantirait que la personne en quête de vision ne se retournerait pas pendant le sommeil rituel. Le surveillant aurait pu aussi veiller pour prévenir les nuisances extérieures et pour diriger l'expérience entre le quêteur et les esprits.

106- La déesse à un seul ¦il, à une seule jambe Boann est en relation avec une autre triade sacrée. Elle est la mère des trois airs sacrés de harpes : Goltraige, l'air de la peine; Gentraige, l'air du rire; et Suantraige, l'air du sommeil. La peine et la joie sont les deux émotions qui agitent les chaudrons intérieurs évoqués dans le texte du "Chaudron de Poésie", alors que l'air du sommeil semble décrire l'état requis pour accéder au chaudron intérieur de sagesse par le biais des rites de transe de l'imbas forosnai et de tarbhfeis. Savoir que tristesse, rire et sommeil sont des effets annexes possibles de la consommation d'A. muscaria pouvait aider à garder le poète en quête de vision sans devoir être submergé par les flots de l'inspiration.

107-Il n'est pas difficile d'identifier la fontaine de Nechtán avec celle de Manannan et aussi celle de Segais évoqué dans le texte "Le Chaudron de Poésie". Elles sont toutes fontaines de connaissance découvertes sous la mer, au centre du monde et à la base du monde de l'arbre ­ l'origine de toutes les rivières de la terre, aussi bien que l'origine des cinq sens. Bien qu'il y ait plusieurs méthodes pour franchir les seuils entre les mondes et plonger dans la fontaine de connaissance, l'ingestion rituelle d'A. muscaria. a certainement été le moyen le plus antique et le plus honoré. Les avertissements et les enseignements entrelacés dans les légendes celtiques à propos des fontaines de connaissance font penser que les Celtes considéraient leurs aliments magiques cramoisis comme aliments sacrés des dieux ­ à approcher avec soin et respect. La sagesse de ces enseignements n'est pas démodée aujourd'hui ­ les enthéogènes, si approchés avec précaution, peuvent être source d'illumination, mais pris avec abus, peuvent s'avérer mortels.

A la recherche de la Terre de Promesse

108-L'ultime question reste posée : Les druides celtes et filidh, utilisaient-ils l'A. muscaria lors de rituels chamaniques ? Des preuves indirectes suggèrent que les druides et filidh s'engageaient dans des oracles chamaniques impliquant très probablement l'utilisation d'une substance produisant des visions. Se basant sur l'ensemble des légendes reliant aliments rouges magiques et voyages dans l'Autre Monde, nous croyons que les Celtes pré-chrétiens utilisaient une ou plusieurs substances produisant des visions. Nous pensons qu'il est significatif que toutes les substances rouges signalées, lesquelles s'avèrent donc ressembler à l'A. muscaria, peuvent déclencher l'extase poétique comme le fait l'A. muscaria et peuvent induire des visions prophétiques comme elle le fait. L'utilisation incessante de représentations métaphoriques de l'A. muscaria dans le corpus celtique, en association étroite avec le développement de la sagesse poétique, suggère que l'utilisation du frère rouge tacheté du bouleau aurait pu se perpétuer de manière clandestine, peut-être bien jusque pendant l'ère chrétienne.

109-Alors que de solides preuves quant à l'usage chamanique de l'A. muscaria, en Irlande, et en Écosse peuvent avoir disparues pour toujours ­ comme les Fomoré et Dé Dânnan dans le royaumes du sidhe ­ nous croyons que les légendes celtiques sont remplies de bien des traces voilées et obscurcies d'une ancienne tradition secrète. Peut-être en reste-t-il suffisamment pour inspirer la re-création d'une pratique viable, belle et authentique du chamanisme celtique. Pour ces âmes courageuses prêtes à explorer les Autres Mondes du frère rouge tacheté du bouleau, nous offrons ce conseil, donné un jour à Bran lorsqu'il partit à la recherche du Pays des Femmes :

110-Ne t'abîme point dans l'immobilité du sommeil / ne laisse pas l'intoxication te dominer, / mais commence un voyage au-dessus de la pure, brillante mer... (42).


NOTES

1. Sauf dans les premières recherches linguistiques de R. Wasson (1968) et les études de mytho-poésie de Robert Graves (1948), il n'y avait, jusqu'à récemment, que très peu d'intérêt érudit à propos de l'usage historique en Europe celtique de champignons psycho-actifs.

Depuis les années 1960, de nombreuses études culturelles croisées (P. Fursten 1972, M. Harner en 1973, M. Ripinski-Naxon en 1993, R.E. Schultes et A. Hoffmann en 1992, et R.G. Wasson en 1980) ont établi que l'usage de substances psycho-actives pour provoquer un état modifié de conscience était beaucoup plus important dans le monde qu'on ne le pensait auparavant. Ripinski-Naxon (1993:153-166) fournit une excellente récapitulation des preuve indiquant que les peuples indo-européens, à différentes époques, utilisèrent des substances psycho-actives lors de leurs rituels chamaniques. Des évidences archéologiques et historiques montrent que les anciens Scythes brûlaient du cannabis dans leurs tentes de sudation; les Grecs utilisaient du pavot somnifère et d'autres psycho-actifs dans leurs mystères, et les Vogouls (Khantis) de Sibérie occidentale l'A. muscaria lors de leurs rituels chamaniques.

Quoiqu'il n'y ait pas de preuves directes démontrant l'utilisation de l'A. muscaria chez les Celtes irlandais, il y a de plus en plus d'indication suggérant son emploi possible dans d'autres parties de l'Europe. Ripinski-Naxon (1993:154-165) réunit ces précisions concernant l'utilisation préhistorique de l'A. muscaria en Europe en y incluant les intéressantes recherches de l'ethno-botaniste Giorgio Samorini. Sur la base de motifs ayant l'apparence de champignons gravés dans les rochers gravés du Valcamonica, et d'une représentation très naturaliste ­ sur les rochers gravées du Monte-Bego, dans le sud-est de la France ­ d'un champignon tacheté (A. muscaria ?) décrite comme se trouvant associée avec un individu ou une effigie, il est concevable que les Celtes qui habitèrent la région, aient pu pratiquer un ensemble rituel organisé autour du champignon.

2. Il est vraisemblable que pommes, baies, et noisettes servaient parfois à la fabrication de boissons alcoolisées, et il est bien fait référence à l'hydromel de noisettes dans les textes celtiques. Néanmoins, l'ivresse alcoolique génère plutôt d'imbéciles ivrognes que de subits hommes sages.

3. Comme noté dans Piggot 1968:117.

4. A propos de renseignements sur la répartition historique de l'usage d'A. muscaria en Eurasie septentrionale, voir Wasson 1967 et 1968, ainsi que Saar 1991. L'A. muscaria était connue des Khantis et des Mansis de Sibérie occidentale sous le nom de panx, pour les Kets sous celui de hango, pour les Mordviniens et les Heremis (Mari) d'Europe occidentale sous celui de pango, pour les Samoyèdes Yuraks de punka, pour les Chukchis de Sibérie orientale de pon ou ponmpo, et ­ si Wasson a raison ­ de soma pour les ancêtres des prêtres de l'Inde védique. Les arguments de Wasson (1967 : 408-13) ­ basés sur l'apparente répartition de la forme de dénomination panx-ponka-ponmpo au sein des tribus sibériennes, ainsi que sur certains liens linguistiques entre le magyar bolond gomba ("champignon des fou"), le slave gomba ("éponge"), le grec (s)pongos ("éponge"), le latin fungus ("champignon"), et l'anglais punk ("amadou") ­ semblent attester que l'usage indo-européen de l'A. muscaria pourrait remonter à 3500 ans.

5. Les actuels guides naturalistes indiquent que l'A.muscaria est encore relativement commun dans les bois d'Angleterre et d'Ecosse. En 1995, le Bureau philathélique de l'Île de Man a sorti un timbre de 20 pence montrant l'A. muscaria, ce qui indique qu'il est encore trouvé dans la région.

Le naturaliste Oliver Rackam (1986) remarque que des forêts bien connues de bouleaux existaient autrefois dans les îles britanniques. Il est tout à fait probable que l'A. muscaria était jadis abondant en Irlande, au moins jusqu'à ce que les forêts irlandaises aient été abattues. Il est intéressant, comme le remarque Rackham, (1986:112), que les derniers vestiges forestiers d'Irlande se soient trouvés sur des îles ou sur les antiques tumuli connus sous le nom de rath ­ c'est-à-dire justement les endroits connus pour être les emplacements des demeures souterraines des esprits.

6. Voir Wasson 1968. Pour une discussion approfondie sur l'attitude mycophobique des Européens reflétée par leurs appellations de l'A. muscaria, voir Wasson 1968:172-203.

7. Les hymnes du Rig-Veda n'identifient jamais expressément le principal composant du soma, mais ils sont remplis de nombreuses références à une mystérieuse plante. En se basant sur ces descriptions, des érudits du védisme ont proposé différentes plantes psycho-actives ­ telles que Peganum harmala et même Canabis sativa ­ en tant que candidats possibles pour le soma. Ces options sont encore retenues par quelques chercheurs, mais de nombreux autres ont adopté les propositions de Wasson concluant que le soma était probablement l'A. muscaria.

Terence McKenna (1993:97-120) infère, sur la base de deux essais personnels négatifs, que l'A. muscaria n'est pas responsable des extases visionnaires frénétiques des Vedas. Il suggère en place que le soma aurait plus vraisemblablement été un champignon à psilocybine, peut-être Stropharia cubensis, mais n'en établit pas la disponibilité dans l'Inde ancienne.

Il existe une solide évidence qu'A. muscaria puisse induire des visions euphoriques, extatiques. Festi & Bianchi (1992:82) remarquent qu'il peut produire "des rêves brillants et colorés doublés d'un sens particulier de "lucidité" " aussi bien qu'un état de rêve dans lequel la réalité est expérimentée "en tant que monde intérieur permettant une profonde introspection". Clark Heinrich (1965), qui a largement travaillé sur l'A. muscaria, note que ce champignon est tout à fait capable d'entraîner des états extatiques et euphoriques. Quoique les suggestions d'Heinrich concernant le fait que les prophètes bibliques aient utilisé l'A. muscaria soient hautement spéculatives, il fournit quelques excellentes preuves tirées des Vedas et d'autres traditions hindoues qui étayent la thèse originelle du soma de Wasson.

8. Bien que Wasson se soit au départ intéressé à prouver que l'A. muscaria était le plus probable candidat pour être le soma, maintes de ses observations et commentaires peuvent être étendues et justifier des attaches entre l'A. muscaria et le merveilleux breuvage celtique de connaissance. Par exemple, Wasson (1986:60-67) explique que les références védiques au soma comme "à-un-seul-¦il" et "à-un-seul-pied-non-né" peuvent avoir la même origine que les êtres à ¦il unique et unijambistes de Sibérie. Dans Irish Soma, Wilson (1995) examine les faits pouvant se rapporter au soma dans la saga de Dermat et Grania du Cycle de Fionn, et il suggère que Sharvan le Bourru ­ le géant fomoire à ¦il unique qui garde les magiques baies écarlates des Tûatha dé Dânaan ­ pourrait être un être champignon. En outre, se basant sur les observations de Wasson (1968:44) comme quoi le soma était broyé pour extraire un enivrant divin, Wilson suggère que le geste de Dermat assommant mortellement Sharvan pourrait bien être un rappel du sacrifice rituel et du pressurage du soma.

9. La grue est souvent associée à la magie druidique dans les légendes celtiques, et les objets magiques du dieu de l'Autre Monde Manannan aussi bien que ceux du héros Fionn Mac Cumhail sont rangés dans des sacs en peau de grue.

10. Comme Wasson (1980:53,229) le souligne, le soma est relié à la foudre, et maintes cultures associent la foudre et l'A. muscaria, laquelle éclot dès après les orages. L'association de Lug et de la foudre pourrait le lier avec l'A. muscaria.

11. Pour le texte complet, voir Cross & Slover 1936.

12. Les plus anciens écrits traitant des druides et de la religion celtique étaient, pour l'essentiel, basés sur des descriptions de seconde main, adaptés aux préjugés personnels des auteurs romains. Pour une explication à propos des informations et désinformations contenues dans les histoires romaines, voir Piggot 1968:91-120.

Les pénitentiels chrétiens condamnent à l'occasion les pratiques religieuses païennes existantes, mais ils donnent très peu de renseignements consistants sur les pratiques, et ils ne mentionnent jamais expressément d'utilisation chamanique de psychotropes. Au 17ème siècle, le Liber Penitentialis de S. Théodore, septième archevêque de Canterbury, condamne différentes pratiques et cérémonies magiques, en particulier l'idolâtrie des "devins, empoisonneurs, enchanteurs, augures". Théodore menaçait aussi d'expulser de l'église quiconque agissait en sorcier, invoquait les démons, faisait se lever des tempêtes par des entreprises pernicieuses, ou opérait de la magie sexuelle (Summers 1927:65-6).

13. Les vieilles légendes gaéliques ­ préservées oralement pendant des siècles par les filidh et bardes irlandais ­ mentionnent souvent, incidemment, des pratiques druidique et païennes. Pour un assortiment de passages en relation avec les pratique chamaniques des Celtes, voir Matthews 1991, et Matthews & Matthews 1994. Quoique les versions écrites des légendes gaéliques aient été transcrites beaucoup plus tard par des clercs chrétiens, ces légendes contiennent de remarquablement sympathiques et perspicaces commentaires sur les pratiques druidiques. Malheureusement, les récits ne fournissent que rarement de descriptions détaillées des rituels, et c'est pourquoi le mieux que nous puissions faire est de réunir les pratiques celtiques issues de diverses sources.

14. Les fonctions des filidhs sont décrites de manière très détaillée tout au long de la littérature des Irlandais anciens, quoique pas une seule source ne rassemble toutes les informations à un seul endroit. Comme Nagy (1985) le note, Fionn Mac Cumhail est l'archétype du fili chaman, composant de la poésie, soignant en offrant une gorgée d'eau dans ses mains, voyageant au sein des monticules du sidhe, et dirigeant des rituels divinatoires.

15. Le Glossaire de Cormac est un texte en vieil irlandais du Xème siècle trouvé dans le Livre jaune de Lecan. Du fait que le rédacteur, traitant de l'imbas forosnai plusieurs siècles après que son usage ait été proscrit, se basait probablement plutôt sur une tradition historique que sur une expérience directe. Néanmoins, il n'est pas impossible que la pratique en ait été poursuivie clandestinement.

Nous savons que les descendants écossais des filidh pratiquaient deux oracles ­ le tarbhfeis et le taghairm ­ qui comportent certaines ressemblances avec l'imbas forosnai. Les Ecossais du XVIIème siècle effectuaient un rite appelé tarbhfeis, ou "fête du taureau", qui comportait aussi le mâchage ou la consommation de viande rouge. Selon ce qu'en dit l'historien Geoffrey Keating, un taureau était sacrifié et les sages mangeaient un peu de sa chair et du bouillon, s'enveloppaient dans la peau fraîche d'un taureau, et attendaient un rêve ou une vision (cité dans Matthews & Matthews 1994:243). Dans un ouvrage du XVIIIème siècle, Description of the Western Isles of Scotland, Martin Martin décrit un autre rituel divinatoire, connu là en tant que taghairm. Un groupe d'hommes, qui s'était d'abord retiré en des lieux isolés, loin de toute maison Š désignent l'un d'entre eux, et l'enveloppent dans une grande dépouille de vache, qu'ils replient tout autour de lui, son corps entier en étant recouvert à l'exception de la tête, et ils le laissent ainsi dans cette posture toute la nuit jusqu'à ce [qu'il donne] la réponse en rapport avec la question posée (cité dans Matthews & Matthews 1994:334). Dans la description de Martin, il n'est pas fait mention de mâchage de viande rouge, mais ce détail peut avoir été omis.

16. Matthews (1991:184) note un passage du Senchus Mor, un recueil de textes de lois de différentes époques, qui paraît confondre la pratique du teinm laída avec celle du dichetal do chennaib : Quand le fili voit la personne ou la chose devant lui; il fait immédiatement un vers avec le bout de ses doigts, ou dans sa tête sans réfléchir, et il compose et énonce en même temps. Cependant, le passage apporte une bonne description de la manière différente dont était menée le teinm laída, "avant le temps de Patrick" : Le poète plaçait son bâton sur le corps de la personne ou sur sa tête, et devinait son nom, et le nom de son père et de sa mère, et découvrait chaque chose inconnue qui lui était soumise, en deux ou trois minutes, et ce Teinm Laegha [sic], ou Imus Forosna [sic] étaient utilisés pour révéler de la même manière; mais ils étaient exécutés après un mode différent, c'est-à-dire qu'une sorte différente d'offrande était faite pour chacun.

17. Quoique les Sibériens n'associent pas directement l'A. muscaria à l'immortalité, Salzman & al (1995) rapportent que les Koriaks de Sibérie font un tonique avec airelles et A. muscaria, et le considèrent comme une boisson de santé et de longévité. De plus, on trouve là un parallèle avec le soma védique ­ car de la même façon que l'immortalité était promise aux sacerdotes védiques qui buvaient le soma, l'immortalité est promise à ceux qui mangent la nourriture et boivent les sorbes des dé Dânann.

18. Les traductions des notes de La poursuite de Diarmuid et Grainne sont basées sur Cross & Slover 1936.

19. Wasson (1968:246, 324) cite des relations faites par Georg H. Langsdorf, en 1809, et CarI Hartwich, en 1911, dans lesquelles il est mentionné qu'il est tout à fait habituel chez les Sibériens de consommer une boisson faite d' A. muscaria mélangée de myrtilles (Vaccinium ulignosum) ou de feuilles d'épilobe (Epilobium angustifolium). Comme Wasson, Saar (1991:168) cite aussi Langsdorf pour signaler que les Khantys estiment que les baies renforcent la boisson. Aucune de ces sources ne fournit la moindre explication pharmacologique à propos de cette croyance.

Wasson (1968:153-55) note qu'il y a un net assentiment parmi les Sibériens pour considérer qu'il est vital de sécher les champignons avant toute utilisation. Certaines tribus sibériennes affirment qu'absorber des champignons frais est dangereux; d'autres que les champignons frais sont plus vomitifs. Wasson (1968:155) décrit comment ses amis et lui découvrirent que griller les champignons rehausse leur force psycho-active.

Ott (1993:339) cite les études pharmacologiques de Repke montrant que le séchage des champignons transforme par détarboxylation l'acide ibotenique en un bien plus puissant psychoactif, le muscimol. Ott (1993:328) indique aussi que l'acide stomacal peut également transformer l'acide iboténique en muscimol. Le mélange de baies acides et d' A. muscaria peut catalyser une interaction synergique biochimique comparable. Sur la base d'utilisation personnelle, Whitehas a effectivement observé une relation synergétique entre airelles et A. muscaria.

20. Citations de O'Grady 1892, vol. 2: 394.

21. Les références à des pommes d'or dans la littérature celtique sont demeurées une énigme jusqu'à ce que, en travaillant sur cet article, White ne tombe sur la photo d'un spécimen d'A. muscaria séché, d'un luisant métallique doré. A la lumière de cette découverte, il pourrait être admis que les légendes grecques et indo-européennes mentionnant des pommes d'or sacrées pourraient être des récits didactiques concernant l'utilisation d'A. muscaria ­ agencés pour rappeler aux initiés le savoir ésotérique nécessaire.

22. Pour un débat plus détaillé sur The Cauldron of Poesy, voir Laurie 1996.

23. Weston (1968:248) note une observation de Langoureux : La figure devient rouge, congestionnée, et remplie de sang, et la personne intoxiquée commence à faire et à dire beaucoup de choses involontairement. Eugster (1991:435) remarque que l'échauffement et la fluxion de la face est causée par l'acide iboténique : alors que le rougissement de la face est ce qui est le plus visible pour les observateurs, les usagers ressentent une chaleur prononcée de la tête.

24. La conception populaire et la plus répandue des oghams voudrait que les noms des lettres soit exclusivement des noms d'arbres. Mais l'ogham des arbres n'est que l'une des 150 listes d'oghams différentes. Selon McManus (1991), la forte identification de l'ogham avec les arbres fut vulgarisée par les annalistes du XIVème siècle, lesquels travaillaient sur une tradition pluri-séculaire et restée seulement partiellement comprise. McManus suggère que les noms originels des oghams comprenaient des mots, des objets et concepts divers. McManus, et Meroney (1949) avant lui, ont présenté des traductions des noms des lettres oghamiques connues, mais quelques uns de ces noms sont obscurs et non traduisibles. Edad est l'un d'entre eux.

25. Récit basé sur Nagy 1984:214.

26. Kondratiev observe que l'emploi du nom an náthl bhreac en des lieux éloignés permet de supposer que ce nom n'est pas d'invention récente. L'emploi de l'appellation "serpent tacheté" dans la poésie du pseudo-Taliesin gallois au XIIIème siècle pourrait être éloquent.

Wasson & Wasson (1957) démontrent l'affinité indo-européenne entre le serpent et le champignon mais indiquent que l'association serpent-champignon dans le monde de la Grèce et de l'Inde, avec tout son ensemble d'associations, cède la place dans l'Ouest au glyphe du crapaud et du tabouret de crapaud (note du traducteur : en breton "champignon" se dit kabell touseg, littéralement "capuchon de crapaud"). Au profit du "serpent tacheté", il apparaît, cependant, que le conservatisme irlandais ait préservé l'antique association du serpent et du champignon.

27. La traduction anglaise de Whitley Stokes (1890) de la Life Brigid a été rééditée sous le titre de saint Bride par Iain MacDonald (1992).

28. Le symbolisme et les fonctions des cerfs, arbre et serpents à cornes de bélier de Cernunnos sont débattus de façon assez détaillée dans Green 1992: 59-61 et 1989: 86-96.

Sur certaines monnaies gauloises, le cerf porte le cercle à quartiers de la roue solaire entre les andouillers, ce qui relie clairement Cernunnos à des attributs solaires ­ caractéristique qu'il partage avec le gaulois Belenos, lui-même apparenté au gallois Beli et à l'ancêtre irlandais Bilé, dont le nom signifie "grand arbre sacré".

29. Pour un débat concernant le Chaudron de Gundestrup, voir Taylor 1992.30.

30. Wasson (1968:249, 273-4) cite les déclarations de Langsdorf et de Bogoraz selon lesquelles les usagers de l'A. muscaria sont parfois portés à bondir et peuvent montrer une vigueur physique inhabituelle. Voir aussi Sarr 1991 et Salzman et al. 1996.

31. Laurie (1996) remarque que le texte du Chaudron des Poètes décrit l'imbas comme étant un arbre qui est grimpé avec application, ce qui implique que plus le filidh est entraîné et inspiré plus haut il ou elle s'élève dans l'arbre. Nagy (1985: 281) note que le mot taman "tronc d'un arbre, souche, tige est employé dans certains textes bardique et juridiques pour décrire un ordre inférieur de poètes. L'un des ordres les plus élevés de fili est appelé le druimclí, le sommet de la poutre faîtière ou la charpente de toiture du savoir. O'Curry (1878:9) dit l'homme qui était druimclí était supposé avoir grimpé le pilier ou l'arbre de l'érudition jusqu'à la crête ou le sommet. Regroupées, ces bribes d'informations donnent des filidh une image les représentant étagés à différents niveaux de l'arbre du monde, selon leur rang et leur poste.

32. Saar (1991:164) rapporte une observation de Langsdorf comme quoi les chanteurs épiques des Khantys ont l'habitude de consommer plusieurs champignons, ce qui leur permet de chanter tout au long de la nuit des chants inspirés. Salzman et al (1996:42) indiquent que le mukhomor (A. muscaria) continue d'inspirer les chants des Koryaks du Kamchatka.

33. Lebor Gabala Erenn ("Livre des Invasions de l'Irlande") traduction anglaise citée dans Matthews & Matthews 1994:11.

34. Nora Chadwick (1935) consigne plusieurs récits dans lesquels le teinm laída est associé avec des chants à plusieurs voix, auprès du feu. Chadwick observe que le mot teinm est généralement tenu pour découler du radical tep- ("chaleur").

35. Hanes Taliesin, traduction anglaise de Macalister, citée dans Graves 1948:211.

36. Immacallam in do Thuarad ("Dialogue des deux Sages"), traduction anglaise du Dr Whitley Stokes (1905), commenté par Matthews & Matthews 1994: 203-218.

37. Selon les anciens textes de lois irlandais, les rituels d'imbas forosnai, teinm laída, et dichetal dochennaib étaient enseignés durant huit ans; après quoi le fili était considéré ollamh, le suprême grade du poète (Calder 1917: XXI). Si notre position de considérer que l'A. muscaria était la "chair rouge" mâchée pendant l' imbas forosnai est exacte, les étudiants auraient pu débuter leur apprentissage des champignons un peu plus précocement dans leur cycle d'étude, de manière à se préparer à endosser leur rôle de devin en cours de rituel.

38. Matthews (1991:123) souligne une intéressante relation d'apprentissage bardique trouvé dans The Memoirs of the Marquis of Clanricarde, écrit en 1722. Ce texte raconte comment l'apprentissage des bardes ­ à cette époque ­ se plaçait dans "une hutte basse, confortable" située quelque part dans un lieu solitaire. Chaque étudiant avait un petit logement ou cellule, sans fenêtre, ni beaucoup de meubles outre son lit; et ils y passaient jours et nuits dans l'obscurité, pratiquant leur art en fonction de thèmes assignés par un magister.

39. Franz Boaz, Ronald & Catherine Berndt, Dennis Tedlock, et un grand nombre d'autres ethnographes ont appuyé sur le rôle du mythe dans le transport des enseignements des cultures indigènes. Le chamane et conteur nootka Johnny Moses parle souvent de l'emploi des histoires traditionnelles qui ont pour but à la fois d'apprendre des contes et d'être des outils thérapeutiques de modification chamanique. Daniel Merkur (1985) livre dans une étude approfondie sur la manière dont les informations ésotériques des pratiques chamaniques innuits sont entrelacées dans leurs chansons, récits et légendes par le biais de symboles archaïques et autres circumlocutions.

40. Les notes concernant la Coupe de Cormac sont de Cross & Slover 1936: 503.

41. Le motif de l'¦il unique peut avoir de multiples significations symboliques. Dans l'ancienne cosmologie nordique, la fontaine de sagesse de Mimir est située aux racines de l'arbre cosmique Yggdrasil. A cette fontaine, Odhinn sacrifie l'un de ses yeux à la tête coupée de Mimir en échange de la sagesse. "L'‘il-Unique" peut indiquer qu'à la fois Odhinn et Boann ont un ¦il dans ce monde et un ¦il dans l'Autre Monde. Le bras et la jambe uniques pourraient aisément être des métaphores d'une capacité à se déplacer et à agir à la fois dans ce monde et dans les royaume de l'Autre Monde.

42. Traduction anglaise par Erynn Rowan Laurie.


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Erynn Rowan Laurie est une érudite des traditions celtiques, qui vit à Seattle (Washington, Etats-Unis). Poétesse, vélète et prêtresse, elle est l'auteur de Circle of Stones : Journeys & Meditations for Modern Celts ("Le Cercle de Pierres : Voyages et Méditations pour des Celtes modernes"). Son intérêt pour l' A. muscaria en tant qu'origine possible de l'origine "rouge tachetée" de l'imbas a résulté de ses recherches concernant le Chaudron de Poésie, texte et commentaires, les anciens druides et filidh, et leurs techniques pour accéder aux visions et à l'énergie de l'imbas. Elle est l'inspiratrice du site forum de Nemeton-L, en même temps que du Filidecht of Inis Glas ("Création poétique de l'Ile Verte"); elle peut être contactée à < inisglas@seanet.com >.

Timothy White a été l'éditeur du Shaman's Drum ("Le Tambour du Chaman") ­ excellente revue américaine des diverses traditions chamaniques du monde, qui a malheureusement maintenant cessé de paraître depuis quelques temps ­ et praticien de longue date du chamanisme psychotropique. Il y a plusieurs années de cela, en recherchant les preuves historiques concernant les pratiques chamaniques des peuples européens, il fut intrigué par des mentions celtiques à des boissons et nourritures magiques de connaissance en même temps qu'à des parallèles évidents avec des descriptions des expériences sur l' A. muscaria trouvées dans le Soma de Wasson entre autres sources. Tout en reconnaissant que les Européens septentrionaux utilisaient également d'autres modes de mise en transe ­ incluant le jeûne, la privation de sommeil et l'induction onirique ­ White est convaincu, après plusieurs session préliminaire de travail avec l' A. muscaria, que c'est là que se trouve l'explication la plus plausible de la compréhension des références à des aliments magiques et aux pratiques chamaniques des Celtes.